Auricules (Primula auriculas) – Entretien avec Jodie Mitchell de la Pépinière Barnhaven

Les auricules (Primula auriculas), cousines alpines de nos primevères, n’ont pas acquis en France la renommée qu’elles méritent. Elles ont pourtant la particularité d’apporter, de part leurs floraisons atypiques, un grain de folie aux parties mi-ombragées du jardin.

Jodie Mitchell de la Pépinière Barnhaven a très gentiment acceptée de nous présenter les Primula auriculas dont la pépinière possède une collection avoisinant les 300 cultivars, collection agréée par le Conservatoire des Collections Végétales Spécialisées (CCSV).

 

Rob et Jodie Mitchell
Rob et Jodie Mitchell

 

Fabrice Chollet – Quand on évoque la Pépinière Barnhaven, nombreux sont les amateurs de jardin qui la connaissent pour ses primevères, mais peu savent que vous êtes également spécialiste de leurs cousines, les auricules. Pouvez-vous nous les présenter ?

Jodie Mitchell – En effet, les Primula auricula ou Oreilles d’ours prennent une part grandissante dans notre collection. Elles appartiennent aussi au genre Primula et on les appelle les cousines alpines de nos primevères communes, puisqu’elles poussent à l’état sauvage dans les Alpes. Les plantes que vous voyez aujourd’hui présentés dans le théâtre ou sur notre stand lors des fêtes des plantes, sont le résultat de plusieurs siècles de travail d’hybridation réalisé par des amateurs et des professionnels. Elles étonnent toujours par l’aspect presque artificiel de leurs fleurs qui donnent l’impression d’avoir été peintes à la main, mais également  par la variété énorme de formes et de couleurs existant. Nous avons plus de 300 cultivars dans la collection mais il en existe plus de 1000 actuellement en circulation.

 

FC – Quelles sont les conditions qui leur conviennent le mieux ?

JM – Ce sont des plantes qui ont besoin de conditions à mi-ombre et surtout d’un bon drainage. Elles se plaisent dans des bordures bien drainées, des auges en pierre ou en rocailles ombragées.

Pour certaines variétés on conseille de les cultiver en pots (à l’extérieur) et de les protéger d’un excès d’eau en hiver en les mettant à l’abri sous un châssis bien ventilé, ou tout simplement sur le rebord extérieur d’une fenêtre.

 

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FC – Les Auricules sont classées en deux catégories : les Garden Auriculas et les Show Auriculas. Quelles sont leurs différences ?

JM – Ce sont les flamands qui, au 18ème siècle, ont commencé à classer les auricules en catégories pour les montrer dans les concours et établir des standards. Ces catégories sont encore utilisées en Angleterre aujourd’hui lors des nombreux concours. En essence ce sont les mêmes plantes mais les Garden Auriculas, aussi appelée Border auriculas, sont les Auricules de jardin. Elles sont cultivées pour être des plantes très robustes et florifères qui s’adaptent bien à des parterres et aux conditions de pleine terre. Elles ne sont pas sujettes aux critères strictes imposés aux auricules dites ‘Show’ ou de collection, et peuvent être de n’importe quelle couleur et forme. Il en existe des gammes de graines comme les nôtres ou des cultivars nommés.

Les Show auriculas sont des cultivars qui ont été sélectionnés par rapport à des critères bien précis pour être exposées dans des concours. Pour être baptisées, elles doivent traditionnellement avoir gagné un prix dans un concours. Par contre ce sont aussi des plantes très robustes, même si certaines sont plus difficiles que d’autres. Et quand on dit difficile, c’est dans le sens qu’il n’est pas toujours facile d’obtenir un beau pied avec une belle floraison pour les concours alors que certains cultivars sont plus performants.

 

FC – Les auricules sont particulièrement appréciées en Grande-Bretagne où de nombreux “Shows” leurs sont consacrés chaque année. Est-ce une particularité britannique ou y a-t-il l’équivalent en France, ou ailleurs?

JM – Ces concours ont lieu actuellement en Angleterre, en Ecosse et aux Etats-Unis. Ils sont organisés par des associations de passionnés de primevères et d’auricules. Pour le moment il n’y en a pas encore en France, mais nous avons de plus en plus de collectionneurs et j’ai déjà parlé avec plusieurs clients de cette possibilité… Qui sait ce que nous réserve l’avenir ?

 

FC – Il y a plusieurs type de Show Auriculas, correspondent-ils a des catégories de concours lors de ces “Shows”?

JM – Oui, tout à fait. Il y a donc des formes alpines ou nuancées avec deux teintes sur les pétales, les Selfs ou les ‘pures’ avec une seule couleur, les doubles, les Fancy (ou bizarres) et les auricules lisérées de vert. On commence aussi à voir une nouvelle catégorie dans les expos, ‘Wire-edge’ avec un liséré blanc très fin sur le rebord des pétales.

 

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FC – Barnhaven a une longue histoire au cours de laquelle ont été introduites de nouvelles séries. L’une des dernières est la collection de Show Auriculas. Poursuivez-vous ce travail de recherche, d’introduction et de création aujourd’hui ?

JM – La création et la recherche restent au cœur de notre travail. Tous les ans nous introduisons de nouveaux cultivars de Primula auriculas issus de nos propres croisements ou venus d’autres collections. On introduit également de nouveaux cultivars comme la primevère japonaise double, Primula sieboldii ‘Flamenco’. Nous travaillons aussi sur les primevères doubles et on essaie toujours d’obtenir de nouvelles espèces et de nouvelles variétés.

 

FC – 2016 est une année particulière pour la Pépinière Barnhaven qui fête ses 80 années d’existence, cette longue histoire s’est traduite par l’introduction de nouvelles séries et par l’obtention du statut de Collection Nationale (Primula obtentions Barnhaven) et de celui de Collection agréée (Primula Auriculas) remis par le CCSV. Quel regard portez-vous sur cette longue saga ?

JM – C’est une chance inouïe mais aussi une très lourde responsabilité. Il n’est pas seulement question de respecter et continuer tout le travail qui a mené à la mise en place de ces collections ; il faut aussi prendre en compte le fait que beaucoup de nos gammes de primevères sont les descendantes directes des premières gammes introduites par les précédents propriétaires. Si nous ne faisons pas le travail de pollinisation à la main, ces gammes pourraient être complètement perdues. Il est ici question de sauvegarder un patrimoine historique de plantes. Certaines ont d’ailleurs été perdues. Nous nous efforçons de rechercher dans les anciens catalogues et utilisons également des notes manuscrites afin de refaire les mêmes croisements et de réintroduire des formes disparues.

Nous ne perdons jamais le fil conducteur de la collection dictée par la fondatrice Florence Bellis : “Le cachet de Barnhaven et une triade de couleurs, de formes gracieuses et de parfums subtiles”. Je pourrais rajouter à cette liste que les plantes de Barnhaven se doivent aussi et surtout d’être des plantes robustes qui méritent une place dans le jardin.

 

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FC – Comment envisagez vous l’avenir ?

JM – Mon mari et moi avons rejoint la pépinière il y 5 ans dans le but de la reprendre quand mes parents prendront leur retraite. Nous ne sommes donc pas tourné que vers le passé. et avons pleins d’objectifs pour l’avenir. Nous voulons continuer ce travail vital de sauvegarde des anciennes gammes introduites par nos prédécesseurs en continuant à utiliser les techniques de pollinisation à la main.

Nous souhaitons sauvegarder d’anciens cultivars, certains de nos auricules datent du 19ème siècle. Mais nous avons aussi le projet d’agrandir la collection d’auricules (nous sommes actuellement en négociation avec une personne en Angleterre pour reprendre sa collection).

Nous voulons développer les Primula sieboldii et continuer à introduire de nouvelles espèces et de nouveaux hybrides. Nous devons aussi informer et inciter plus de personnes à planter toujours plus de primevères dans leurs jardins. L’entreprise s’agrandit notamment grâce à l’essor des ventes de plantes sur internet. Nous avons des clients partout dans le monde et notre site web est désormais en trois langues. Nous espérons ainsi que Barnhaven va pouvoir continuer à exister encore longtemps.

 

'Walton' © Sylvie Cotelle
Primula auricula ‘Walton’ (© Sylvie Cotelle)

FC – Pour terminer, parmi vos auricules, quelle est celle que vous considérez comme incontournable ou que vous préférez ?

JM – J’ai une préférence personnelle pour ‘Sirius’ dont les couleurs sont incroyables mais aussi pour ‘Walton’ qui est d’un bleu épatant.

Il y a également un nouveau cultivar, qui n’est pas encore à la vente, issu de l’un de mes croisements avec ‘Sirius’ qui attire toujours mon regard dans la pépinière en ce moment à cause de ses couleurs très foncées et contrastées. Je l’ai nommé ‘Brigitte Bardot’.

 

De ggauche à droite : 'Sirius' (© Barnhaven) et 'Brigitte Bardot' (© Sylvie Cotelle)
De gauche à droite : Primula auricula ‘Sirius’ (© Barnhaven) et Primula auricula ‘Brigitte Bardot’ (© Sylvie Cotelle)
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